Avant d’être enseveli, pour de vrai, dans les jardins de Graceland, sa demeure de Memphis, Elvis Presley (1935-1977) avait été enterré une première fois sous un monceau de navets. Entre 1958 et 1969, deux douzaines de longs-métrages pour la plupart d’une effrayante médiocrité avaient eu raison de son statut semi-divin. Comédies salaces mais familiales, Des filles, encore des filles (1962), Chatouille-moi (1965) ou Micmac au Montana (1968) avaient effacé Mystery Train, Heartbreak Hotel ou Hound Dog, les titres par lesquels Elvis avait offert sa personne, incarnation du rock’n’roll, à la planète.
Ironiquement, c’est par le cinéma que le King ressuscite encore une fois, en une longue célébration qui fait mine d’embrasser d’un coup la vie d’un enfant pauvre du sud des Etats-Unis devenu icône (peint par Andy Warhol, sculpté par Madame Tussauds), mais qui, en réalité, propose, à la manière d’un metteur en scène de théâtre reprenant une nouvelle fois Œdipe roi, la lecture d’un mythe. Prenant ses aises avec l’histoire, l’Elvis de Baz Luhrmann élude la part du cinéma dans la construction et la démolition de ce mythe. Or, elle est essentielle et vaut d’être revisitée.
Elvis fait de Presley un héros touché par la grâce divine – on verra le petit Elvis entrer en transe au milieu des fidèles d’un revival afro-américain – qui doit affronter sans cesse les forces malignes qui veulent le ramener dans l’enfer du commerce et du conformisme, incarnées par le colonel Tom Parker, son manageur, figure sinistre que son interprète, Tom Hanks, pousse aux frontières de l’abjection.